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Mon Izakaya avec Jud à Hiroshima

Bienvenue dans mon Izakaya. Chaque mois je reçois une personnalité Japon du Web pour boire un verre et parler Japon. Aujourd’hui, on trinque avec Jud à Hiroshima

Bonjour Jud, ça va ? Bienvenue dans mon Izakaya. Peux-tu te présenter en quelques lignes pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Ça va nickel, merci ! Il m’a l’air bien cool ton izakaya 🙂

Alors voilà, ça fait 10 ans que j’habite à Hiroshima, où je travaille en tant que graphiste / directrice artistique et dès mon arrivée, je me suis mise à bloguer. Envie de partager le truc, forcément.

La première version du blog était alimentée quasiment au quotidien, avec des photos légendées mais assez peu de texte. Puis, après une pause de 3 ans, j’ai repris sous une forme un peu différente. Je m’applique beaucoup plus au niveau des photos et de la rédaction. Je présente Hiroshima, ses habitants (sous forme d’interview), les lieux où je me balade. Je parle de mon boulot, de cuisine, d’expériences personnelles. Et ce qui me plaît en particulier, c’est de montrer le Japon un peu rétro et cracra ou encore sa facette underground : graffeurs, tatoueurs, punks, acteurs de la scène reggae et dub etc…

Bon, ce soir je vais me prendre un Highball et du Karaage. Tu prends quoi ?

Wow ! Highball direct ? t’es chaud dis-moi ! Bon alors pour moi ça sera un Tomi no Hozan, « rokku », mais attention, je risque de vite devenir bavarde ^^.  Envoie aussi le p’tit bol d’édamamé qui va bien, un saba no shioyaki, et on est bon.

Le principe de la rubrique, c’est que chaque invité raconte une histoire sympa, drôle ou bizarre qui lui est arrivée au Japon. Tu te sens prête à relever le défi?

Mais carrément ! Des histoires drôles ou bizarres… oh la la j’en ai plein ! Y en a même des irracontables… Mais, tiens je sais, y en a une qui me revient… une expérience culinaire assez particulière…

Donc, c’était fin 2010, avec mes potes du groupe Saibaiman. On passait la soirée dans la petite ville portuaire de Kure où ils devaient donner un concert et moi, passer quelques disques.

Après les balances et une brève marche dans les allées étroites de Nakadori, on se dirige vers une sorte de boui-boui dont ils parlent tous avec les yeux qui brillent depuis le début de la journée. Chouette ! me dis-je naïvement, n’ayant aucune idée du sort qui m’attend.

J’entre et là, déjà, j’aperçois 4 ou 5 tortues à museau pointu qui se baladent pénardes sur le comptoir. Des suppon me dit-on, avant de me préciser que ce sont des tortues carnivores et ultra agressives. Des créatures de l’enfer quoi. Ouai ouai, elles te gniaquent et t’arrachent un bout de doigt gros comme ça là. Je peux te dire que ça m’a direct coupé toute envie de faire la mariole à proximité du comptoir. (艸´ε’・*)–☆

Et là, le pote qu’on surnomme Bobby m’annonce, avec ce petit sourire diabolique, que ce sera notre repas.
On va les manger en soupe. (〇до) De la SOUPE DE TORTUE !

Il en profite pour me montrer un bocal rempli de petits lézards noirs et me fait « Eux aussi on va les manger ! T’es prête ? ». Oh, ben puisque on y est… L’enthousiasme qui débordait en moi avant de franchir le noren fait subitement place à la perplexité puis à l’angoisse.
Nan nan, attends tu rigoles ? de la « soupe de tortue » c’était pas juste une expression ? genre « bave de crapaud », « poudre de perlimpinpin », tout ça, comme dans les contes de sorcière pour enfant ?

Bref, on passe à table où j’essaie de faire comme si j’étais cool, relax, complètement détendue alors que j’essuie une petite goutte de sueur en me demandant dans quel bordel je me suis embarquée (・~・:). Et voilà qu’arrivent les « amuse-gueules » : les lézards dont je viens de parler. Les mecs avalent ça tout rond (encore vivants) avec un verre d’eau. Moi je passe mon tour. Et là, j’entends un gros SHLAAAAH ! sur ma gauche (Д゚艸). Je vois le pépé, à l’aise derrière son comptoir, en train de décapiter les tortues et les vider de leur sang. Οо。(>。<≠)Il vient nous déposer une tête sur la table, tel un trophée. Charmant…

À table c’est l’excitation générale. On dirait qu’on s’apprête à faire une orgie. Bon, faut savoir que les Japonais sont persuadés que les tortues suppon possèdent des vertus surnaturelles et que ça donne une pêche d’enfer. Genre « Whoa ! on est au moins debout jusqu’à 10h demain avec ça ! ». Et c’est là que l’apéro arrive. Des verres de sang de tortue mélangé avec un peu de vin, à boire cul-sec. Comme je m’étais déjà défilée pour les lézards, je prends mon courage à deux mains et bois mon verre comme tout le monde, en me remémorant la scène mythique du refuge dans les Bronzés font du ski.

Beurk, et c’était comment ?

Ça a du retour.. Enfin, ça allait, légèrement fruité, sucré. Mais ce rouge opaque, c’était un peu rebutant. J’en ai bu que la moitié.

Ensuite le mec nous apporte un truc super gore : la vésicule biliaire. Crue. C’est Bobby qui a eu le « privilège » de la manger (la chance…). Oh mais la tête qu’il a fait ! Apparemment c’était super amer. Nan mais quelle idée de manger des trucs pareils ? Bon après Bobby, c’est le mec qui te tue des poulpes sur la plage en leur croquant la tête ou qui avale des poissons vivants attrapés direct dans le bocal… une broutille donc pour lui.

T’as des amis sympas dis-moi! Et ensuite?

Ensuite, petite assiette de jaunes d’œufs crus. Ça, ça allait. Fallait juste essayer de ne pas imaginer que le mec avait été les chercher à mains nues dans les entrailles de la tortue. Puis quelques sashimis de foie… Je me suis dit vu comme c’est parti on va avoir droit à la cervelle glacée en dessert, obligé…

Et voilà finalement la fameuse soupe de tortue qui arrive. Un délice soi-disant et un plat de luxe au Japon. (Franchement, ils auraient pas dû se donner tant de mal, un cheese gyudon à 490¥ chez Sukiya, ça m’allait parfaitement hein…). Bon déjà visuellement c’était pas terrible : une marmite dans laquelle flottent des morceaux de tendon, d’os, de chair grisâtre... niveau goût,  je dirais entre porc et poulet. La tête c’était le meilleur, vraiment très moelleux. Et après ça tout le monde s’est jeté sur la carapace de la tortue, pour en dévorer les morceaux de chair et de collagène restant. Ils ont même attaqué la carapace avec les dents ! Ma foi, c’est bien connu « dans le suppon, tout est bon »... ┐(‘~`;)┌

Après ça le pépé qui tient le resto a commencé à nous déballer tous ses trésors avec moult explications et histoires plus incroyables les unes que les autres. Des racines, plantes rares et champignons séchés du Tibet, de Corée, de Chine, de Taïwan.. Des hippocampes, des vésicules biliaires de sanglier et d’ours, des pénis de tigre, des quartz du Mexique et d’Arabie Saoudite. C’était en fait un amateur de kanpō (la pharmacopée chinoise). Il nous a même apporté de quoi relever un peu les restes de notre soupe : poudre de serpent mamushi (très revigorant paraît-il) et cubes de bois de cerf (juste pour le goût).

Et attend, on a eu droit au dijo aussi ! De l’eau de vie à l’abeille. Normal. Évidemment, c’était trop petit joueur pour les mecs alors ils n’ont rien trouvé de mieux à faire que de bouffer les abeilles. Y avait aussi une bouteille de tord-boyau au serpent qui traînait dans un coin, pfffiou ça fouettait le bouc.

Le pépé nous avait tellement plongé dans une ambiance mystique toute la soirée, qu’on s’attendait à tout moment à des révélations incroyables (« attends, je suis sûre qu’il est parti cherché un mogwaï dans l’arrière boutique ! ») :

– Et vous avez quel âge au fait ? (150 ? 200 ?)
– 73 ans..
– ..Ah… et ça fait combien de temps que vous tenez ce resto ?
– Hoooo…. ça doit bien faire… 5 ans..
– ..Hmm.. ヾ(´ε`*)ゝ

Mais toujours dans un trip « vaudou-sorcellerie-bas-fonds-de-Macao » quand ils nous apporte le riz et les œufs pour terminer le bouillon de tortue :
– Whaaa ! C’est des œufs de quoi ?
– de poule..
– ..ah.. (déception)

À mon grand plaisir, on était enfin arrivé à bout de ce repas-torture et comme l’heure tournait et qu’il ne semblait pas décidé à nous laisser partir, on a fini par lui demander si par hasard il n’avait pas son futon à aller déplier.

Voilà, on s’est bien marré, c’est une expérience que je ne regrette pas, mais clairement j’le referais pas une deuxième fois !

Tu vis à Hiroshima, ce qui n’est pas très courant pour les expats au Japon qui préfèrent généralement Tokyo ou Osaka. Pourquoi ce choix?

C’est vrai que ce n’est pas courant. Les expats installés ici le sont souvent parce qu’une opportunité professionnelle s’est présentée ou parce que c’était la région d’origine de leur conjoint japonais. Les autres, parce qu’ils ont eu un coup de cœur pour la ville.

Et donc pourquoi ce choix ? En fait une connexion entre Hiroshima, Londres et Marseille s’est créée vers la fin des années 90 / début 2000. Des dj’s japonais et français se sont liés d’amitié et ont commencé à s’inviter mutuellement à venir jouer ou passer des vacances les uns chez les autres. Et en 2006, après avoir déjà fait connaissance avec une partie de la bande de Japonais en France, j’ai suivi un ami marseillais à Hiroshima, pour 3 semaines de vacances complètement folles. 10 mois plus tard je suis revenue avec un working holiday visa et comme tu dois t’en douter, je ne me suis posé aucune question sur ma destination. Je m’en foutais d’aller au Japon, je voulais juste aller à Hiroshima.

Allez, tease-nous un peu. T’as un bar trop cool à nous conseiller dans le coin ?

Je vais même t’en donner 3 comme je n’arrive pas à me décider.

ORGAN-ZA dans le quartier de Tokaichi : C’est en fait un immeuble entier tenu par la reine de l’underground d’Hiroshima : Goto Izumi. Le sous-sol est un haikyo laissé tel quel, qui sert aussi de galerie d’expo. Au rez-de chaussée se trouve un café / lunch : « Tokaichi Apartment ». Au 1er « Organ-za » : un bar / resto / café concert avec une déco assez folle et bordélique, inspirée des années 20-30 (ère Taisho) qui attire une faune assez intéressante : artistes, personnages originaux ou communauté LGBT. Le lieu accueille pas mal de concerts et spectacles complètement barrés, des shows burlesques, etc. Et le 2ème étage est un espace réservé aux soirées spéciales (privées ou ouvertes au public) : « Furansu-za ».

(1-4-32 Tōkaichi-machi, Naka-ku, Hiroshima, 082-295-1553)

Ondo Ongaku Shokudo : C’est un bar / salle de concert / club situé au sous-sol d’un sento (Ondo Onsen) et tenu par Ayumi et Satoshi, un couple trop accueillant. Ils ont toujours le sourire. Ayumi cuisine de bons petits plats avec des produits locaux choisis avec soin, et Satoshi, gros collectionneur de vinyles, s’occupe du son. La programmation est classe, éclectique et pointue. Ils invitent régulièrement des groupes et des DJs internationaux. Je vous conseille vivement de tester le sento avec les yakuzas locaux et de descendre boire une bière à Ondo après, la vraie expérience « deep Hiroshima ».

(B1F Ondo Onsen Building, 6-3 Tanaka-machi, Naka-ku, Hiroshima, 082-245-9563)

FRESH dans le quartier d’Osuga : C’est un tout petit quartier bien rétro qui fait un peu penser à Golden Gai avec son quadrillage de ruelles étroites. Le bar en question se situe dans la plus sombre et la plus étroite de celles-ci, dans une nagaya de 2 étages, typique de ce quartier, et les murs sont recouverts de vinyles (de jazz, de hip-hop, de raretés du monde entier, etc). Le jeune proprio, ami de Satoshi, est un passionné de musique et vous pouvez choisir les disques que vous voulez écouter si vous le souhaitez.

(10-7 Ōsuga-chō, Minami-ku, Hiroshima, 082-261-5040)

Sinon 3 lieux sûrs pour rencontrer du monde, parler avec les barmans qui se débrouillent un peu anglais et qui sauront vous donner de bons plans pour la suite de la soirée, à moins que vous ne restiez sur place jusqu’au petit matin : Centre Point, Koba (mais clientèle maintenant composée à 95% d’étrangers) et Hallelujah. Ils sont tous situés en plein centre et les adresses sont faciles à trouver sur Google. Et 2 clubs lounge pour s’en mettre plein la vue niveau déco : Eight et Super Supperclub.

Je sais, j’avais dit 3 ! mais voilà, 2 verres d’imo et on m’arrête plus 😀

Merci d’être venu dans mon Izakaya, la prochaine fois je viendrai boire un coup dans ton petit bar ! Un mot de la fin ?

Avec plaisir !

Merci pour cette soirée, j’ai trouvé le concept très intéressant. Et bonne continuation à ton blog !

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  • Alexandre Kerbellec

    Après plusieurs années au Japon et en Corée du Sud, j'ai décidé de devenir agent de voyage spécialisé sur ces 2 destinations afin d'en offrir le meilleur aux voyageurs. Vous trouverez sur Nihonkara de nombreux articles pour découvrir les 2 pays et vous aider à préparer votre séjour.

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