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Le Japon, une société robotisée ?

Après presque 4 mois de vie au Japon, je remarque de plus en plus certaines petites choses du quotidien. Des choses qui me donnent aujourd’hui l’image d’une société japonaise quasi-robotisée. Cela ne saute pas tout de suite aux yeux. Non, ce sont plutôt des dizaines de petites situations qui petit-à-petit vous font modifier votre regard sur la société japonaise vers une bonne ou une mauvaise vision. Tout dépend de votre ressenti.

Une journée procédurale japonaise

Il est 8h du matin, vous venez de petit-déjeuner et partez en ville pour la journée, direction Shinjuku. Sur votre chemin vous vous arrêtez au passage piéton car le feu est rouge. Aucune voiture à l’horizon mais personne n’avance, vous en faîtes donc de même et attendez 3 minutes. Vous arrivez un peu plus tard devant les portes du métro, et vous vous placez précisément en rang à gauche ou à droite pour laisser passer les usagers qui sortent. Personne ne se bouscule et tout se fait dans le calme. Là vous regardez autour de vous et apercevez une centaine d’hommes en costume – cravate – mallette, la posture droite : le salaryman japonais. Le silence est absolument complet durant tout votre trajet.

Vous voilà enfin à la mairie. Là vous devez patienter en vous asseyant sur les sièges d’attente. Vous êtes arrivé le dernier, et prenez donc le siège tout à droite. Ces sièges sont telle une véritable file d’attente et dès que le premier de la file est appelé au guichet, chacun se lève et prend le siège juste à sa gauche. Une vraie chaîne de production. Après vos formalités effectuées, vous filez à votre travail de serveur. Là votre supérieur japonais vient vous réprimander car vous venez de commettre une erreur. Il fallait 1 – servir le café 2 – poser la petite cuillère 3 – poser une serviette à gauche de la tasse face au client. Malheureusement vous avez posé la cuillère avant le café. Vous ne cherchez ni à comprendre, ni à vous expliquer. Ici, c’est de cette manière-là que l’on fait et cela fonctionne très bien, point. 3 heures plus tard, votre travail terminé, vous ne rentrez pas chez vous directement. Vous et votre équipe de travail nettoyez une énième fois votre espace de travail en attendant que votre patron s’en aille. Dans beaucoup d’entreprises japonaises, il est encore mal considéré de rentrer avant son supérieur.

La journée se termine enfin et vous êtes épuisé. Vous vous rendez compte que cette journée n’était pas si différente de celle d’hier en fait, ni de celle d’avant-hier… Sur le chemin du retour, vous croisez toujours ce salaryman assis à la même place dans cette même salle de Pachinko.

Au Japon, il existe des centaines de minuscules normes imbriquées dans la société. Celles-ci visent naturellement à faire régner l’ordre public. En vivant un moment au Japon, vous vous rendez compte que chaque action, chaque contexte est encadré par une procédure particulière. Mais le plus impressionnant est sans doute qu’absolument tout le monde respecte ces procédures à la lettre, ce qui peut parfois donner une impression de robotisation de la société.

Le code relationnel japonais

En discutant avec plusieurs personnes vivant au Japon depuis des années et en m’appuyant sur des récits de blogs, je fais un constat : beaucoup d’étrangers rencontrent des difficultés à créer de véritables amitiés avec des japonais. On peut bien évidemment trouver d’innombrables raisons à cela, mais il en existe une qui expliquerait bien des choses : Le Honne et Tatemae.

Traduits littéralement, Honne signifie « ce que vous pensez véritablement » et Tatemae « le masque que vous montrez ». Ces 2 notions sont véritablement ancrées chez la grande majorité des japonais. La majeure partie des interactions sociales des japonais repose donc sur le Tatemae. Cela se traduit au quotidien de plusieurs façons. Vous vous rendez par exemple compte que si se faire des connaissances japonaises pour sortir ou faire la fête est plutôt simple, dès qu’il s’agit de parler de sujets plus sérieux, de politique, d’intimité… une partie d’entre eux ne répondent plus présents. Certains peuvent également avoir l’impression de redécouvrir totalement une personne qu’ils pensaient connaître, une fois le puissant masque Tatemae enlevé. Le but de ce masque imaginaire est de maintenir l’harmonie sociale, d’éviter les sujets sensibles et les contradictions, qui pourraient engendrer des conflits ou pire : un sentiment de honte. Ce savoir-vivre est si ancré dans la population japonaise qu’il a du mal à se confronter au savoir-vivre latin que nous avons et qui se fait un plaisir de donner son opinion sur tout un tas de sujets. Si vous voulez sourire à propos de ce choc des cultures, je vous invite à vous renseigner sur le syndrome de Paris qui résume bien les faits.

Enfin, et pour ajouter du piment à tout ça, de nombreuses normes de respect et de politesse donnent parfois à la société japonaise des airs de grand spectacle. Le Keigo japonais se différencie de la politesse que nous connaissons par son usage invasif dans le langage. Ce ne sont pas quelques simples mots de politesse, mais toute une grammaire spécifique qui se décline en fonction du contexte et de l’interlocuteur. Cela donne un air de véritable jeu de rôle.

Y-a-t-il une place pour les déviants ?

La société japonaise parvient à faire régner un ordre public quasi-irréprochable, mais le maintien continu de cette harmonie semble avoir un prix : la pression permanente que peut exercer la société sur les japonais, et que les japonais peuvent eux-mêmes se mettre sur les épaules. Pour décompresser, certains d’entre eux boivent à outrance entre collègues en fin de journée, ou vont dépenser le peu de salaire que leur femme leur laisse dans des machines de Pachinko & Slot.

Dans une société qui accorde tant d’importance au savoir-paraître et au respect méthodique des normes, une question se pose : y-a-t-il une place pour la déviance, pour l’initiative, pour la créativité ? Dans une société ou tout le monde marche à gauche, y-a-t-il de la place pour celui qui marche à droite ?

La réponse à cette question est certainement ambivalente. Evidemment, chacun peut trouver une place où s’exprimer peu importe son identité ou sa personnalité. L’acceptation et l’insertion dans la société sera peut-être en revanche plus difficile qu’ailleurs. Certains individus, effrayés par ce système, se recluent dans leur chambre et ne sortent tout simplement plus sauf pour satisfaire leurs besoins primaires. Ce phénomène a un nom : les hikikomori, et touche de plus en plus d’adolescents et de jeunes adultes japonais. Le suicide est également la première cause de décès chez les 15-39 ans au Japon. Il n’en reste que ce système a le mérite d’offrir un des environnements les plus sécuritaires au monde. Le taux de criminalité est l’un des plus faibles au monde et l’on se sent en sécurité et à toute heure, même dans les coins les plus « chauds » de Tokyo. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui font que j’adore le Japon.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Je m’adresse ici aux personnes ayant effectuées un séjour plus ou moins long au Japon. Avez-vous ressenti ces petites choses du quotidien ? Avez-vous eu cette impression d’une société carrée, en ordre, ou rien ne dépasse ? Avez-vous aimé cela ou vous êtes-vous senti mal-à-l’aise ? N’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaires pour échanger à propos de la société japonaise et de votre ressenti en tant que résident.

  • Alexandre Kerbellec

    Après plusieurs années au Japon et en Corée du Sud, j'ai décidé de devenir agent de voyage spécialisé sur ces 2 destinations afin d'en offrir le meilleur aux voyageurs. Vous trouverez sur Nihonkara de nombreux articles pour découvrir les 2 pays et vous aider à préparer votre séjour.

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3 commentaires sur “Le Japon, une société robotisée ?”

  1. Bonjour, c’est exactement un des aspects qui me passionne. J’ai l’impression déjà rien que de parler de honne/tatemae, ça parait déjà « manquer de respect ». Parce que évidemment nous allons émettre un jugement sur une partie intégrante d’une culture, quand on va aborder les conséquences de ces contraintes, vues d’un pays où est libre de faire ce qu’on veut chez soi, ou l’honneur est ailleurs que dans le respect de la norme. Merci d’avoir entamé le sujet aussi simplement :=)
    Pourtant je me dis que, comme ailleurs, comme en France, il doit bien y avoir des gens qui ont envie de râler en se cachant moins. Ce sont ces japonais(es) là qui m’intéressent. Malheureusement, je pense qu’il me faut abandonner l’espoir d’en rencontrer un jour, il me faudrait une sacrée maîtrise de la langue pour inspirer confiance et arriver à ce niveau de confidence.
    J’ai essayé d’avoir des correspondantes japonaises, j’ai parlé avec des japonaises vivant ici en France, aucune ne m’est sympathique, même celles qui ont fuit ce carcan social ont gardé cette distance, cette pseudo cordialité à usage unique qu’est le paraître en société malgré leur motivation à l’exil.
    Honnêtement je me demande ce qui m’attire tant dans ce pays, en tant que Française bien critique, très consciente que la place de la femme dans la société japonaise est une catastrophe et limite anar… Parce que j’y suis allée (bon ok 3 semaines en touriste)! Et je vais y retourner! (en séjour linguistique si je peux)
    Peut-être le fait que la normalité est de ne pas voler, de laisser les choses propres (au moins en ville parce que à la campagne c’est plus le souk comme ailleurs 🙂 les décharges publiques au milieu de nulle part: pareil), de respecter les autres, d’être discret… tout ce qui vient peut-être de la contrainte culturelle mais qui pour moi devrait couler de source… C’est reposant que ce soit la norme tout ça, même si c’est dicté par un code de comportement très contraignant, je me plais à penser que c’est un peu plus naturel qu’ailleurs.
    Pas d’angélisme cependant, les laisser pour compte, il ne suffit pas de ne pas en parler pour qu’ils n’existent pas (ce qui est un peu le principe en général ici, enfin..là-bas oh et puis zut), Y’a du bandit aussi et je subodore que la société est pourrie par le pognon dans les hautes sphères comme partout dans le monde, et que le pouvoir est noyauté par les anciennes familles, yakuza etc, et que ce monde là a tout intérêt à ce que ceux du bas de l’échelle bossent tranquillement à faire tourner le pays… Bien pratiques les codes d’honneur au biberons, et l’auto punition…
    Bien sûr j’ai une vision simplifiée de ce que ça doit être… je débute… Ça me donne envie d’être psy au Japon et de devoir dire à longueur de journée, mais « Non, vous n’êtes pas un monstre, ni un égoïste asocial, ni un dangereux révolutionnaire de vouloir penser, arrêtez de souffrir parce que vous vous sentez différent, votre voisin aussi me consulte pour la même chose, parlez-en ensemble bon dieu… Vous voulez un câlin? »
    Judith (la euh… cougar de Noel :D)

  2. J\’ai un peu la même vision que Judith sans pour autant avoir mis les pieds au Japon. J\’ai par contre une amie de très longue date qui vit à Kyoto, qui m\’a rendue visite plusieurs fois et avec laquelle j\’ai établi un lien de confiance à tel point qu\’elle est également la personne qui me connaît le mieux malgrè la distance. Quand elle est venue en France, pour elle c\’était un soulagement qu\’il n\’y ait pas de \ »normes quotidiennes\ » à respecter, que personne ne regardait comment elle s\’habillait ou d\’autres détails de ce genre. J\’ai appris le japonais sur le tard et j\’ai aussi cherché des correspondants pour pratiquer. Première tentative: un échec…typiquement le cas d\’une attitude \ »tatemae\ » qui s\’est évaporée quand j\’ai tenté de parler de sujets plus sérieux, là d\’un coup ce n\’était plus amusant ni intéressant d\’échanger donc silence radio progressif….Deuxième cas: tout le contraire, un japonais de mon âge (donc + de 40 ans) qui a du recul sur la société japonaise et ne se prive pas d\’en commenter les \ »failles\ » car il en souffre et a du mal à effectivement rentrer dans la case où on veut le mettre…à noter que cette personne a vécu en Europe…ceci explique sans doute cela….sans compter qu\’il peut s\’exprimer en japonais avec moi. Nous pouvons donc parler de tout, de la société japonaise, de la société française, de politique, de travail, des petits oiseaux, aucun soucis. Quant aux japonais vivant en France, j\’ai vu les deux cas de figure…certains restent dans des relations de façade, d\’autres ont adopté la façon de faire du coin et sont directs et naturels, tout dépend de leur propre histoire et ressenti sans doute.
    Je compte bien aller au Japon un jour et je garderai en tête que tout n\’est pas tout rose ni tout noir non plus.

    1. Salut Chris !
      Je comprends ton ressenti, il est vraiment différent selon les japonais rencontrés. Je partage l’idée comme quoi il va être sans doute plus difficile pour un japonais de se ré-adapter aux normes de son pays après avoir vécu en Europe quelques années. J’ai moi-même des amies dans ce cas là. A bientôt !

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